COVID-19: QUELLES SERONT LES RÉPERCUSSION SUR LA PHILANTHROPIE ?

22 mars 2020

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Le monde avant et après le COVID-19

Le COVID-19, c’est la malédiction de 2020. La pandémie qui a démis le monde tel qu’on le connaît de ses fonctions. Le cygne noir, selon la théorie consacrée de Nassim Taleb, qui va nous en faire voir de toutes les couleurs pendant des mois.

Alors bien sûr, on peut voir l’étagère de papier toilette à moitié vide et assister à notre effondrement économique prostré sur notre lunette, ou à l’inverse, voir la crise que nous traversons comme le point de départ d’un changement de paradigme profond et générateur de nouvelles opportunités individuelles et collectives qui nous permettrons d’offrir à nos enfants un monde plus résilient, bienveillant et solidaire.

Mais qu’en est-il des répercussions du coronavirus sur le secteur de l’engagement ? Comment la philanthropie peut-elle tirer son épingle du jeu ?

Une “bulle de générosité” au sort incertain ?

On commence avec la tribune d’Antoine Vacarro, président de Force For Good by Faircom qui nous rappelle qu’à travers l’histoire, les grandes crises ont appelé les grandes solidarités. Pensons à la famine en Éthiopie de 1985, au tremblement de terre en Arménie de 1989, au génocide Rwandais de 1994, au tsunami indonésien de 2004, au tremblement de terre en Haïti de 2010 ou plus près de nous, à l’incendie de Notre-Dame de Paris qui a mobilisé près d’un milliard d’euros.

Ces bulles de générosité ont par le passé rejailli sur l’ensemble du secteur philanthropique. A. Vaccaro pense qu’une bulle va sans doute gonfler. C’est probable, en témoigne par exemple la Fondation de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris qui a réussi à collecter en à peine quelques jours 1,5 millions d’euros auprès de 1800 particuliers et entreprises. Plusieurs scientifiques s’accordent à dire que seul le maintien des mesures de distanciation sociale sur une longue période (possiblement un an ou plus) pourra endiguer l’épidémie. À court terme, on peut donc s’attendre à ce que les donateurs flèchent leurs contributions vers la santé, la recherche clinique pour la découverte d’un vaccin, la recherche fondamentale, ou les populations vulnérables qui auront été le plus durement touchées par la crise et le confinement, au détriment d’autres champs de l’intérêt général comme les arts et la culture, l’éducation, l’environnement.

Et pourtant, la cause environnementale est la toile de fond du COVID-19. Le biologiste Boucar Diouf a très justement remis les choses en perspective avant même que la crise ne prenne une telle ampleur à l’échelle du globe, en affirmant que nous devons adopter une approche intégrée dite One World, One Health (Un monde, une santé). Ce concept a été introduit par la Wildlife Conservation Society en 2004 et a pour but de mieux comprendre les relations existant entre la santé animale, la santé humaine et la santé de l’écosystème afin de protéger la santé publique. Le virus Ebola, le sida, le SRAS et maintenant le COVID-19 sont tous des maladies humaines d’origine animale. Dès lors, tout l’enjeu sera de rendre accessible la complexité et l’enchevêtrement des effets de cette crise auprès des donateurs, qu’ils soient directs, indirects ou contextuels. Pour s’engager, il faut comprendre.

Mais si on revient à notre bulle de générosité, ne risque-t-elle pas d’éclater en plein milieu d’une course de fond qui menace de durer longtemps ? La crise sanitaire que nous traversons est mondiale et s’accompagne d’une crise économique sans précédent. Ceci va nécessairement impacter la psychologie des donateurs. Pour les petits et moyens donateurs, comment exercer sa générosité quand on ne sait pas si on va conserver son emploi, son entreprise ou même son couple après tant de confinement ? Pour les plus grands donateurs, comment maintenir sa générosité quand les marchés s’effondrent et que les retours sur investissement sont quasi nuls ?

Philanthropie d’urgence et réseaux d’entraide

Cette générosité de masse a des chances de se commuer en réseaux d’entraide. Les professeurs Luc Audebrand et Matthias Pepin ont signé dans le journal le Devoir un article qui laisse penser que oui. En s’appuyant sur les sciences sociales, ils nous rappellent que l’être humain a toujours évolué grâce à l’entraide. Ils citent notamment les écrits du théoricien anarchiste Russe Pierre Kropotkine, auteur de l’ouvrage intitulé L’entraide, un facteur de l’évolution, et dans lequel ce dernier avance que la survie est une lutte collective où la pratique de l’aide mutuelle constitue la meilleure arme possible. Audebrand et Pepin font également référence au psychologue américain Michael Tomasello qui affirme que l’être humain est le produit d’une évolution culturelle cumulative, c’est-à-dire qui repose sur une succession d’apprentissages non pas par imitation comme chez les autres espèces animales mais par enseignement. Dans son essence même, l’être humain, je cite, en enseignant aux autres, délibérément, activement et systématiquement, témoigne de sa volonté de donner à ses pairs les moyens de comprendre, de contribuer, mais surtout de faire progresser la société.

Nous avons vu fleurir en effet toute une série d’initiatives sur les réseaux sociaux qui sont autant de manifestations de l’entraide. Qu’il s’agisse de l’opération #billetsolidaire invitant les détenteurs de billets de spectacle à ne pas se faire rembourser, l’initiative des chiffons rouges en France qui encourage les personnes seules dans le besoin à se manifester auprès du voisinage en accrochant un tissu rouge à la fenêtre, ou encore des différentes plateformes qui se sont multipliées pour venir en aide au système de santé. Parmi elles, citons enpremiereligne.fr qui se veut un Tinder de l’entraide envers le personnel soignant pour offrir des services de garde d’enfant ou de courses alimentaires, renforts-covid.fr qui propose aux étudiants, professionnels, actifs ou retraités de se porter volontaire, et commentaider.fr qui met en relation des citoyens et des associations de première ligne comme les banques alimentaires, banques de sang ou organismes venant en aide aux plus démunis qui se retrouvent privées de bénévoles en raison du confinement des personnes âgées. L’histoire nous dira si les gens se sont serrés les coudes sans toutefois resserrer les cordons de leur bourse…

Du côté des grandes entreprises, sans surprise, nous assistons à une mobilisation internationale qui représente plus de 80% du montant total des promesses de dons s’élevant à 1,9 milliard de dollars. En Chine, le président d’Alibaba a financé l’expédition de 1,8 million de masques et 100 000 kits de test en Europe. En France, LVMH a réquisitionné 3 de ses unités de production pour fabriquer gratuitement du gel hydroalcoolique. La plateforme solidaritecovid.fr, destinée à mettre en relation les acteurs de la santé et les entreprises qui veulent aider a été mise en place. On a vu également l’ensemble de l’écosystème EdTEch se rassembler pour assurer la continuité pédagogique des élèves en mettant ses contenus en accès libre.

Dans l’immédiat, l’aide aux acteurs directement concernés et la philanthropie de proximité semblent être privilégiées pour faire face à l’urgence. Une fois la crise derrière nous, nous verrons probablement se redévelopper une philanthropie dite stratégique qui répond à la fois aux envies des donateurs et aux besoins de la société.

Toutefois, va-t-on voir apparaître une montée de l’altruisme efficace ? La question mérite d’être posée dans la mesure où l’ère post-COVID-19 s’annonce transformatrice notamment sur le plan des valeurs…et par définition, l’altruisme efficace, ce mouvement initié par le philosophe Australien Peter Singer, c’est l’idée qu’on ne devrait pas seulement vivre pour soi et qu’une partie de notre vie devrait être dédiée à l’amélioration du sort d’autrui dans un souci d’efficacité. Or, dans le nouveau monde qui se profile, où l’on pronostique déjà sur la décroissance, la maximisation des dons et de leur impact, si chère aux altruistes efficaces, sera d’autant plus importante.

Quels sont les défis à venir pour les organisations philanthropiques ?

Et les organisations philanthropiques dans tout ça ? Bien sûr, elles seront épaulées par les gouvernements, par le mécénat de compétences d’un grand nombre de travailleurs sans emploi. Mais cela sera-t-il suffisant à long terme ? Comme l’a rappelé Eric Dutertre de l’agence parisienne Hopening, « lors de  la  crise  de  2008,  si certaines associations  avaient  décidé  d’abaisser  leur  pression  et  niveau  de sollicitation,  conduisant  à  une  réduction  mécanique  de  leur  collecte, d’autres  avaient  progressé  en  conservant  voire  en  accélérant  les investissements ».

Alors, ces organisations seront-elles aussi solidaires entre elles ? Assistera-t-on à un darwinisme social où seules les mieux préparées, au sommet de la chaine de l’intérêt général, s’adapteront et s’en sortiront, et les autres, plus fragilisées, seront en voie d’extinction ?

Chose certaine, celles qui n’auront pas déjà intégré de stratégies de collecte digitale courent le risque de sortir de la course dans le cas d’une prolongation de la crise. La créativité ne sera peut-être pas suffisante. Quand on voit la rapidité avec laquelle l’ensemble des secteurs d’activité se sont digitalisés pour maintenir leurs opérations, on comprend que le monde du travail et les industries seront métamorphosés à jamais par le virtuel avec certains points de non-retour. L’institutionnalisation du télétravail en fait partie. Par conséquent, les organisations philanthropiques doivent toutes sans exception mettre l’emphase sur le numérique.

Le deuxième élément à prendre en considération dans la transformation de la philanthropie est ce qu’on pourrait appeler une forme de retour à l’essentiel. Avec l’annulation forcée des événements-bénéfice, c’est tout un « décorum » qui disparait temporairement. Fred Fournier, de l’agence MindMe s’interroge d’ailleurs sur le développement des « No-Go Galas » et cite pour exemple Natural High en Californie qui brand son No-Go Gala de la manière suivante : Aucun billet, ni babysitter ou nouvelle tenue nécessaire ! 100% de votre soutien va directement à Natural High.

D’une manière générale, les événements accaparent beaucoup de ressources, ne sont pas toujours rentables et demeurent un canal d’acquisition de nouveaux donateurs qui se relativise au fil des éditions. D’ailleurs, ils finissent toujours par toucher un plafond de verre en termes d’objectif financier à atteindre. Dans l’épisode #2 de FILantropio consacré à Sophie Tarnowska, la fondatrice de WeDoSomething Montréal, nous avions évoqué l’urgence de repenser les événements grâce au design d’expérience, à la connexion avec les bénéficiaires de la cause et au redimensionnement à taille humaine. Au-delà de ces constats, le COVID-19 ne fournit-il pas là une occasion de moins dépendre des événements-bénéfice pour investir davantage dans le digital ?

Il y aura-t-il un effet boomerang ?

Pour terminer, interrogeons-nous sur les conséquences de la crise à plus long terme. Pour l’instant, les organismes philanthropiques tout comme les entreprises sont inclus dans les plans de relance économique des gouvernements. Mais une fois la crise terminée, à moins d’un effacement de la dette, l’État, les banques et les bailleurs de fonds chercheront à revoir leur argent. On peut donc légitimement tabler sur des coupures budgétaires qui exerceront une pression sur le milieu philanthropique, et une augmentation des impôts et taxes, qui impactera nécessairement la collecte de fonds. En temps normal, deux scénarios sont possibles lors d’une hausse d’impôts : soit le donateur coupe dans les dons, soit il défiscalise davantage. Mais sur fond de récession, le premier ne risque-t-il pas de l’emporter sur le second ? Une solution pourrait être la mise en place de crédits d’impôt anticipés pour redynamiser les dons.

À suivre…

N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires sur les réseaux sociaux ou par mail à charlene@filantropio.com

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